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EN CANOT DE PAPIER.

mit sa pipe de côté (en s’essuyant le nez du revers de sa main, ce qui est un usage très-fréquent dans le Sud), et, saisissant brusquement l’avant de mon bateau, elle le souleva à une bonne hauteur. Après avoir contemplé la finesse de ses formes, elle l’abaissa tout doucement par terre en s’écriant : « Bien sûr je ne risquerais pas ma vie à traverser un bras de mer à son bord, je vous le promets. » Ces gens m’apprirent que le yacht Julia, après s’être arrêté à Ocracoke pour demander de mes nouvelles, était reparti pour Newbern.

Du point où j’étais au débarcadère de la passe Ocracoke, il y avait plus d’un mille en ligne droite. Du débarcadère jusqu’au village de Portsmouth, sur la rive occidentale de la passe, on comptait cinq milles. Aucun des marins qui tâtaient de leurs robustes mains les flancs de la coque de mon canot, pour estimer sa force, ne croyait que je traverserais le Sound jusqu’à l’autre village sans chavirer. Un pêcheur, un homme de bon cœur, m’offrit de transporter ma personne et mon bateau à Portsmouth ; mais comme le jour était calme, je pris le parti de faire encore cinq milles à l’aviron, en dépit des sinistres prophéties de ces gens : « Ce garçon-là se fera une bière avec son joujou de l’épaisseur d’une coquille d’œuf ; ça ne vaut pas la vie d’un homme, etc. » Tandis que j’approchais de la côte plate, sur le Sound, des bandes d’oies du Canada fuyaient à une portée de pistolet au-dessus de ma tête. Un homme dans un dugout me dit que les chasseurs du village avaient fait éclore des œufs d’oies sauvages ; qu’elles se rassemblaient maintenant par bandes de sept à huit cents oiseaux, et