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chapitre dixième.

raissant sur l’autre bord ; ils fouettaient le courant de leurs queues puissantes, et soufflaient ou lançaient de l’eau d’une façon très-désagréable. Au premier moment, ma surprise et mon inquiétude furent si grandes que pas un de mes muscles n’obéissait à ma volonté ; le canot commençait à être entraîné par le courant vers la pleine mer… Cet effroi ne fut que momentané, car, ayant découvert que mes compagnons n’étaient que des marsouins et pas autre chose, je manœuvrai pour les éviter, aussi vite que possible. Plus vite j’avançais, et plus ils se multipliaient, sillonnant la mer dans leurs courses folles. Ils étaient longs de cinq à sept pieds, et devaient peser de deux cents à quatre cents livres chacun. Quoique leurs intentions fussent courtoises, la brusquerie de leurs mouvements sur ce théâtre si peu solide était intolérable ; je craignais surtout les coups violents de leurs queues dans les plongeons qu’ils faisaient sous mon canot, car une plaisanterie détachée par une pareille caudalité m’aurait fait chavirer ; il y avait là le sujet d’un roman dont la perspective n’avait pour moi rien de très-agréable. Les cabrioles des marsouins ne durèrent que peu d’instants ; après qu’ils eurent convoqué leurs camarades, et qu’ils m’eurent chassé dans trois pieds d’eau de profondeur, ils me saluèrent alors d’un adieu nasal plus catarrhal que guttural, et s’éloignèrent pour employer leur temps d’une manière plus avantageuse, en péchant dans le courant de la passe, tandis que je me réfugiais dans une anse moins profonde, hors de l’action de la marée, pour me reposer et me remettre des effets de ma frayeur. Quand je me rapprochai de la côte, la marée