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EN CANOT DE PAPIER.

de Morehead, puis ensuite par le chemin de fer à Newbern, sans rien changer à la route que je voulais faire au sud, comme il serait arrivé si j’eusse suivi la voie ordinaire par eau depuis le Pamplico-Sound jusqu’à la rivière Neuse.

Pendant la nuit de ce samedi dépensé à la passe Hatteras, il éclata sur nous une des tempêtes les plus épouvantables dont j’eusse été témoin, même dans les tropiques. Ma promenade sur la côte était à peine finie, lorsque la tourmente se déclara dans toute sa force. S’étendant le long de la côte, des milliers d’acres de terre furent bientôt submergés par la mer et par des torrents d’eau qui tombaient du ciel. Pendant un instant, les ténèbres étaient sombres comme celles de l’enfer, tandis que les éclats du tonnerre nous faisaient voir les forêts ployées par la violence du vent, et par les flots menaçants du Sound. La mer s’élançait sur le rivage comme si elle voulait reprendre possession du vieux Pamplico, et elle semblait dire dans sa fureur : « Je veux une nouvelle passe » ; puis, comme pour réaliser son projet, tantôt elle envoyait de grandes lames qui remontaient sur les galets jusque par-dessus les dunes, tantôt elle faisait écrouler les petites falaises de sable, comme si elles eussent été de complicité avec elle pour faire disparaître cette frêle barrière, cette étroite bande de terre basse qui sépare l’Atlantique de la grande nappe d’eau intérieure.

La mer phosphorescente, couverte de milliers de millions d’animalcules qui ressemblaient tous à au tant petits phares en miniature, changeait de couleur depuis le noir de l’encre jusqu’à l’éclat de l’argent. L’Océan s’ap-