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chapitre septième

un antidote, une sorte d’esprit de feu que les principes de tempérance de la Nouvelle-Angleterre m’ordonnaient de refuser ? « Il est très-vieux, me disait-il en glissant le flacon dans la poche de mon paletot, et peut-être vous sauvera-t-il la vie ; ne soyez pas assez fou pour le refuser ; il est bien bouché, il est de première qualité, et il a coûté seize dollars le gallon[1] ; moi, je ne m’en sers que comme remède. » Je retrouvai le flacon ; l’eau ne lui avait fait aucune avarie. Dès que j’eus bu à peu près une gorgée du liquide, un changement très-favorable se produisit dans mon système physique et moral. Grâce à ce cordial, je changeai mes vêtements en dépit du vent glacial qui, sans ce stimulant, aurait pu mettre fin au voyage de ma vie.

Je m’étais traité homœopathiquement, à la vieille mode. Rempli alors de sentiments de reconnaissance envers le Tout-Puissant, je réfléchissais, en transportant mes hardes mouillées au delà du marais, sur les merveilleux effets du remède de mon ami, si ce cordial n’était pris que comme remède. Debout sur cette côte froide et regardant la mer fouettée par un vent furieux, je pris l’engagement de ne jamais me permettre un mot méchant contre de bonne eau-de-vie.

Ayant déchargé ma conscience par cette sage décision, je portai sur un buisson de néfliers tout mon bagage précieux, quoique humide, à une place où la terre ferme s’élevait hors du marais ; là, je me fis un abri contre le vent en étendant mes imperméables entre

  1. Cinq litres pour quatre-vingt-cinq francs.