Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
VIE ET ŒUVRE

fois j’étouffe du besoin non satisfait d’avoir près de moi une nature comme la vôtre pour exprimer tout ce qui s’est accumulé en moi. »

Cette même année, au cours d’un voyage à Penza, où il était allé pour voir un domaine, il advint à Tolstoï quelque chose de bizarre qu’il raconte lui-même dans une lettre à sa femme :

« Comment vas-tu et les enfants ? Ne vous est-il rien arrivé ? Voici le deuxième jour que je vis dans l’inquiétude. Avant-hier, j’ai passé la nuit à Arzamass, et il m’est arrivé quelque chose d’extraordinaire. Il était deux heures du matin, j’étais terriblement fatigué, j’avais sommeil et me sentais assez bien. Mais tout d’un coup, je fus saisi d’une telle angoisse, d’une telle peur, d’un tel effroi que jamais je n’ai éprouvé rien de pareil. Je te raconterai cela en détail ; c’était vraiment épouvantable. Dieu en préserve qui que ce soit. Je sautai du lit et ordonnai d’atteler. Pendant qu’on attelait je m’endormis, et quand on m’éveilla j’étais complètement remis.

« Hier, la même chose s’est reproduite, mais à un degré beaucoup moindre ; du reste j’y étais préparé et j’ai réagi d’autant plus que c’était plus terrible. Aujourd’hui je me sens bien portant et aussi gai que je puis l’être sans ma famille. Pendant ce voyage, pour la première fois, j’ai senti jusqu’à quel point je me suis confondu avec toi et les enfants. Je puis rester seul à Moscou, en travaillant constamment, mais ici, sans rien faire, je sens que je ne puis rester seul[1]. »

  1. Archives de la comtesse S. A. Tolstoï.