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LÉON TOLSTOÏ

dant ce temps, un des enfants a été malade et moi-même j’ai failli avoir une très forte fièvre ; j’ai gardé le lit trois jours. Maintenant chez nous tout va bien et c’est même très gai. Tania est avec nous ainsi que ma sœur et ses enfants. Nos enfants sont en bonne santé et passent toute la journée à l’air. Moi j’écris peu à peu et suis content de mon travail. Il y a encore des bécasses, et chaque soir je tire « sur elles » ou plutôt devant elles. L’agriculture va bien, c’est-à-dire m’inquiète très peu et c’est tout ce que j’exige d’elle. C’est tout en ce qui me concerne.

« À votre question sur l’école de Iasnaia Poliana, je réponds négativement. Vos raisons sont bonnes, mais comme les revues l’ont oubliée, je ne veux pas la leur rappeler, non que je renie ce que j’ai dit là, mais au contraire parce que je ne cesse d’y penser, et, si Dieu me prête vie, j’espère faire de tout cela un livre avec les conclusions auxquelles m’a conduit l’ardeur passionnée consacrée à cette œuvre durant trois années…

« Notre affaire, à nous, agriculteurs, est actuellement semblable aux affaires d’un capitaliste possesseur d’actions qui ont perdu leur valeur et ne se cotent pas à la Bourse. L’affaire va très mal. Pour ma part, j’ai résolu de ne pas lui accorder trop d’attention et de travail, afin de ne pas être privé de ma tranquillité. Ces derniers temps je suis content de mes affaires, mais la marche générale des événements, c’est-à-dire les malheurs du peuple qui s’annoncent, la famine, chaque jour me tourmentent de plus en plus. C’est étrange, bien et terrible à la fois : sur notre table, sur la nappe éblouissante, des radis roses, du beurre jaune, du bon pain blanc ;