Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
LÉON TOLSTOÏ

Parfois Tolstoï était ressaisi de la soif de l’amour pour soi et pour les autres. Son heureuse vie de famille ne lui suffisait pas. Elle le distrayait, par les soucis, de son travail intérieur, mais ne pouvait étouffer le juge sévère qui demeurait en lui, et rappelait son existence. Aussi, en février 1865, Tolstoï écrit à T. A. Bers.

« Voilà deux jours que je me répète sans cesse que le monde est très triste parce que nous tous sommes des égoïstes, et moi le premier. Je ne fais de reproches à personne, mais je pense que c’est très mal, qu’il n’y a pas d’égoïsme seulement entre le mari et la femme quand ils s’aiment. Depuis deux mois nous vivons seuls avec les enfants, qui sont les plus grands égoïstes, et personne ne s’intéresse à nous. À Pirogovo on nous a oubliés. Nous pensons qu’il en est de même à Moscou, et soi-même on oublie peu à peu. Je ne puis raconter ce que je désire, mais toi tu es jeune et peut-être comprendras-tu. Moi, depuis deux jours je n’ai que cela en tête. Ce sont les Fet qui m’ont amené à cette idée. Je t’en prie, écris quand même (que ce soit la vérité ou non) que tu nous aimes pour nous-mêmes. J’aime Dorka[1] parce qu’il n’est pas égoïste. Ce serait bien d’apprendre à vivre pour se réjouir toujours du bonheur des autres. Ne lis à personne ce que j’écris, on penserait que je suis devenu fou. Je viens de m’éveiller et dans ma tête il y a du brouillard, de l’irritation, comme à 15 ans. On veut comprendre ce que l’on ne peut comprendre, et

  1. Un petit chien.