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LÉON TOLSTOÏ

comme un élément puissant, comme un océan qui tantôt reflète le ciel, tantôt rompt toutes digues. Elle s’exprime dans les mouvements en masses des peuples et dans les types individuels touchants, parmi lesquels il suffit de citer d’un côté, Platon Karetaiev, de l’autre, Koutouzov, qui, par un instinct particulier, devinait la direction de cette force élémentaire et savait en tirer parti.

La vie de la société supérieure est présentée par Tolstoï avec une profondeur psychologique extraordinaire. Il fait pour ainsi dire l’analyse anatomique et chimique de ses éléments. En même temps qu’il dénonce le vide, la vanité, la criminalité de toute cette classe, il crée des types chez lesquels la conscience morale atteint ses degrés suprêmes, auxquels l’auteur s’éleva lui-même dans les meilleurs moments de sa vie morale.

Le prince André, et Pierre Bezoukov, l’un froid sceptique, l’autre rêveur naïf, par des voies diverses, sont amenés à Dieu. Avec une sincérité et une vérité extraordinaires, l’auteur présente en eux divers aspects et divers moments de son âme. Tolstoï, qui toujours aspira à la plus haute vérité religieuse, ne la reconnaissait pas encore nettement et ses héros ne la reconnaissent pas non plus. L’un par la souffrance, par la mort, l’autre par le contact avec la vie du peuple, toujours vraie, c’est pourquoi divine, sont amenés au sentiment joyeux de la proximité de la divinité, qui cependant reste cachée pour eux derrière un voile impénétrable.

À ces idées d’ordre spirituel exprimées dans Guerre et Paix, il faut joindre des idées d’un caractère plutôt extérieur, objectif, historique.