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LÉON TOLSTOÏ

ceptions et les habitudes de la société, plusieurs traits dignes d’amour et de respect. Mais précisément parce que l’auteur a dépensé beaucoup de temps, de travail et d’amour à étudier et à représenter cette époque, les images qu’il a créées vivent de leur propre vie. Elles prennent d’elles-mêmes contact avec le lecteur, parlent pour elles-mêmes et l’amènent à des idées et des conclusions auxquelles l’auteur n’a pas songé, qu’il désapprouverait peut-être. »

Plus loin, Pissarev résume admirablement les traits des deux héros, qui représentent deux types psychologiques opposés : Boris Droubetzkoï et Nicolas Rostov. D’un côté le calcul froid, de l’autre la spontanéité.

Bien différente est la critique de N. N. Strakov. D’abord, il montre les qualités artistiques générales de Guerre et Paix, et parle de la force d’analyse psychologique de l’auteur, de sa capacité de donner en des images vivantes les résultats de cette analyse :

« L’artiste cherche les traces de la beauté de l’âme humaine. Il cherche, dans chaque personnage qu’il peint, cette étincelle divine, dans laquelle se trouve la dignité humaine. En un mot, il tâche de trouver et de définir avec exactitude comment et de quelle façon les aspirations idéales de l’homme se réalisent dans la vie.

« Le comte Tolstoï est un grand maître à voir ce qui se cache dans l’âme de l’homme, sous le jeu des passions, sous toutes les formes de l’égoïsme, des instincts bestiaux, de l’amour-propre, etc.[1]. »

  1. N. Strakov, Articles critiques sur I. S. Tourgueniev et L. N. Tolstoï. Pétersbourg, 1895, pp. 246-265.