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VIE ET ŒUVRE

Dans son ardeur de polémiste, Chelgounov prédisait que cette œuvre serait bientôt oubliée, que déjà elle commençait à l’être. Dans le même article, il écrit :

« À l’apparition du dernier volume de Guerre et Paix, les premiers étaient déjà presque oubliés. En tout cas l’intérêt provoqué par l’œuvre du comte Tolstoï était tombé. Que signifie cela ? Cela s’explique par l’absence de sujet profondément vital, qui seul peut assurer à une œuvre littéraire la durée et l’intérêt toujours croissant, aussi bien pour la critique que pour le public. Or, tel sujet ne se trouve pas dans l’œuvre du comte Tolstoï. Cependant il a la prétention d’y émettre des opinions philosophiques[1]. »

Les faits ont surabondamment infirmé ce jugement pour qu’il nous soit nécessaire d’insister.

Le critique N. N. Strakov, au contraire, n’a pas de termes assez élogieux pour Guerre et Paix :

« … Le tableau complet de la vie humaine.

« … Le tableau complet de la Russie d’alors. Le tableau complet de ce qu’on appelle l’Histoire, et la lutte des peuples. Le tableau complet de ce qui, pour les hommes, est tout le bonheur, la grandeur, la douleur, l’humiliation. Voilà ce qu’est Guerre et Paix[2]. »

Certains critiques étaient malgré eux tellement entraînés par la vérité profonde de l’œuvre qu’ils prenaient comme une offense personnelle certains faits défavorables à leurs héros, et insultaient Tolstoï pour la tournure donnée à son roman. Par exemple, on

  1. Œuvres de Chelgounov, vol. ii, p. 367 ; St-Pélersbourg, 1895.
  2. N. N. Strakov, Articles critiques, p. 348. St-Pétersbourg, 1895.