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LÉON TOLSTOÏ

Sauf les pages sur la franc-maçonnerie, qui sont peu intéressantes et exposées d’une façon ennuyeuse, ce roman, sous tous les rapports, est admirable. Mais est-ce que Tolstoï s’arrêtera à la cinquième partie ? Cela me semble impossible. Quelle clarté et en même temps quelle profonde analyse des caractères ! Quel caractère que celui de Natacha, et comme c’est bien soutenu ! Oui, tout est admirable dans cette œuvre, tout excite le plus parfait intérêt. Même ses considérations militaires sont pleines d’intérêt, et il me semble que, dans la plupart des cas, il a tout à fait raison. Et puis, comme c’est une œuvre bien russe ! »

Quant aux critiques professionnels, ils se séparèrent en deux camps : les admirateurs enthousiastes de l’œuvre et ses détracteurs féroces. Un certain éloignement de Tolstoï des courants dits « progressistes » n’y fut point étranger. Les leaders progressistes ne pouvaient pardonner à Tolstoï son indifférence envers les questions qui les passionnaient, et la seule apparition de Guerre et Paix dans Rousski Viestnik (bien que Tolstoï ne partageât nullement les opinions de cette revue) à leurs yeux stigmatisait cette œuvre.

Ainsi N. V. Chelgounov écrivait entre autres, sur ce roman : « Heureusement que le comte Tolstoï ne possède pas un talent puissant, qu’il n’est qu’un peintre de tableaux militaires et de scènes de la vie de camp. Si, à la faible sagesse du comte Tolstoï, s’ajoutait la force du talent de Shakespeare, ou même de Byron, il n’y aurait pas sur terre de malédiction assez forte pour lui[1] ».

  1. Œuvres de Chelgounov, vol. ii, p. 392 ; St-Pétersbourg, 1895.