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VIE ET ŒUVRE

la conscience de chacun de ses héros : J’aime, mais en réalité, je hais, etc. Que de fois déjà m’ont-elles ennuyé ces réflexions prétendues fines, et ces observations sur ses propres sentiments. On peut penser que Tolstoï ne connaît pas d’autre psychologie, qu’il l’ignore sûrement. Et combien tourmentées ces répétitions obstinées du même fait : le duvet sur la lèvre supérieure de la princesse Bolkonski. Avec tout cela, il y a dans ce roman des choses que personne en Europe, sauf Tolstoï, ne pouvait écrire, et qui ont fait passer en moi un frémissement d’enthousiasme[1]. »

Tourgueniev était pris par le côté extérieur, artistique de Guerre et Paix, mais l’idée même de cette œuvre lui était si étrangère qu’il ne pouvait ne la point condamner.

De Baden-Baden, il écrit, le 13 avril 1869 :

« Je viens de terminer le 4e volume de Guerre et Paix. Il y a des choses remarquables, mais aussi des choses insupportables. C’est un malheur quand un autodidacte, surtout du genre Tolstoï, commence à philosopher. Il inventera un système quelconque, qui, soi-disant, résout tout très simplement, comme par exemple le fatalisme historique, et il écrit. Là où il touche la terre, comme Antée il retrouve de nouvelles forces : la mort du vieux prince, Alpatitch, la révolte au village. Tout cela est admirable[2]. »

Enfin, après l’apparition du 5e volume, Botkine écrit à Fet, le 9 juin 1869.

« Ces jours-ci nous avons terminé Guerre et Paix.

  1. Eugène Bogoslovsky. Tourgueniev et Léon Tolstoï. Tiflis, 1894, p. 41.
  2. Ibid.