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LÉON TOLSTOÏ

À propos de l’article d’Annenkov, sur Guerre et Paix, Tourgueniev lui écrivit la lettre suivante :

« Baden-Baden, 2 février 1868.

« … J’ai lu et le roman de Tolstoï et l’article que vous lui avez consacré. Je vous dirai sans compliment qu’il y a longtemps que vous n’avez écrit rien d’aussi spirituel et d’aussi vrai.

« Tout votre article témoigne d’un sens critique très fin et très sûr. Il n’y a que dans deux ou trois phrases que se remarquent le vague et l’obscurité de l’expression. Le roman lui-même a provoqué en moi un intérêt très vif. Il y a des dizaines de pages entièrement admirables : tout ce qui est des moeurs, les descriptions (la chasse, la promenade la nuit, etc.). Mais le tableau historique, ce qui précisément enchante les lecteurs, n’est que comédie et charlatanisme. De même que Voroschilov, de Fumée, jette la poudre aux yeux en citant des termes scientifiques auxquels il ne comprend pas un traître mot (ce que les Allemands ne peuvent même supposer), de même Tolstoï frappe le lecteur par le bout des bottes d’Alexandre, le sourire de Spéransky, laissant à entendre qu’il en sait bien d’autres, s’il peut donner de tels détails, tandis que, en réalité, il ne sait que ces détails. C’est un truc et rien de plus. Mais le public s’y est laissé prendre. Il y a aussi beaucoup à dire sur ce qu’on appelle la « psychologie » de Tolstoï. Il n’y a pas de vrai développement dans aucun caractère (ce que d’ailleurs vous avez admirablement observé), mais il y a la vieille manière de transmettre les hésitations, les vibrations du même sentiment, de la même situation, ce que, sans pitié, il met dans la bouche et