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VIE ET ŒUVRE

coup pour la voiture. Après plusieurs relais nous eûmes envie de manger, et alors nous nous aperçûmes que la cantine avait été oubliée : nous n’avions d’autres provisions qu’un panier de raisins qu’on m’avait remis. Léon Nicolaievitch dit : « Ce qui m’ennuie, ce n’est pas d’avoir oublié les provisions, mais c’est qu’on en sera inquiet et que le domestique sera grondé. » Avec les chevaux de poste, après une journée de voyage nous arrivâmes près du champ de bataille, à un couvent fondé en souvenir de la guerre.

« Pendant deux jours Léon Nicolaievitch parcourut à pied et en voiture le champ où cinquante ans auparavant plus de cent mille hommes avaient été tués, et où se trouve maintenant un magnifique monument avec inscription d’or. Il prenait des notes et dessinait le plan de la bataille, publié ensuite dans le roman. Il me racontait et m’expliquait où se tenaient, pendant la bataille, Napoléon et Koutouzov ; mais alors je ne comprenais pas toute l’importance de son travail et je m’amusais follement avec le petit chien du gardien du monument. Je me souviens que sur le champ et en route nous cherchions des vieillards témoins de la guerre nationale. Pendant la route à Borodino on nous raconta que le gardien du monument avait participé à la bataille et avait reçu cette place en récompense de sa bravoure. Mais nous apprîmes que le vieillard était mort quelques mois auparavant. Léon Nicolaievitch en éprouva un grand désappointement. En général, nos recherches étaient infructueuses. Au retour, au dernier relais, nous tombâmes sur un vieux cocher gai qui avait d’énormes chevaux.