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LÉON TOLSTOÏ

étrangère. C’est bizarre d’être une étrangère pour tes parents. Ils s’aiment entre eux, se chérissent, et moi, ils me traitent avec indulgence, comme la fille adoptive de la maison. Tous sont très gentils, très prévenants pour moi, et cependant ce n’est pas cela. Sans toi je ne suis rien. Toi présent, je me sens reine ; sans toi, je suis de trop. Tous ceux qui m’aiment sont maintenant au Kremlin et je suis toujours avec vous. Toute ma vie, hors les enfants, est là-bas. Tante est la meilleure, la plus proche. Elle ne change jamais et reste toujours la même. »

Tolstoï répondit sans doute sur le même ton. Quant à l’impression produite par cette lettre, nous la retrouvons dans le passage suivant de sa réponse, datée de Moscou :

« Pendant le dîner on a sonné. C’était les journaux. Tatiana courait toujours ouvrir. On sonna une seconde fois, c’était ta lettre. Tous m’ont demandé de la leur laisser lire, mais cela me peinait. Elle était trop bonne. Ils pouvaient ne pas comprendre. Et, en effet, ils n’ont pas compris. Sur moi elle a agi comme la bonne musique : c’est joyeux et c’est triste, c’est agréable et on a envie de pleurer[1]. »

Mais voici que de Iasnaia arrivent des nouvelles de plus en plus inquiétantes. À cette époque, la comtesse nourrissait son second enfant, une fille, Tatiana ; l’aîné, Serge, attrapa la variole, qui, jointe à une forte diarrhée, faillit l’emporter.

En communiquant à son mari cette triste nou-

  1. Archives de la comtesse S. A. Tolstoï.