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VIE ET ŒUVRE

« Je me rappelle quelle délicatesse Léon Nicolaievitch montrait envers moi. La conversation était tombée sur l’incompatibilité des professions avec le titre de chrétien. Tolstoï exposait doucement qu’on peut être chrétien dans n’importe quelle profession : « Sauf deux, ajouta-t-il : les juges et les militaires », mais jetant un regard sur mon uniforme il ajouta : « Excusez-moi de dire cela en votre présence. » Et je me rappelle bien que j’eus honte de mon uniforme. »

Peu de temps après, Tolstoï partit de nouveau pour Iasnaïa, d’où il écrivit à sa femme une lettre avec laquelle nous terminerons ce volume.

« 8 décembre 1884 — Hier, quand, après être sorti de la gare, je m’assis en traîneau, et partis sur la neige profonde : la demi-lune, ce silence, cette douceur ; au-dessus de nos têtes ce beau ciel d’hiver étoilé et ce brave Michel, j’en éprouvai un sentiment voisin de l’enthousiasme. Surtout après le wagon en compagnie d’une propriétaire qui fumait et portait des bracelets, d’un médecin qui clamait qu’il faut maintenir la peine de mort, d’une femme abominablement ivre, en manteau déchiré, couchée sans connaissance sur la banquette, d’un monsieur qui portait une bouteille d’eau-de-vie dans sa valise, d’un étudiant en pince-nez, du conducteur qui me donnait des coups dans le dos parce que j’étais en touloupe. Après tout cela. Orion, Sirius, la neige ouatée et silencieuse, le bon cheval, le bon air, le bon Michel et le bon Dieu[1] ! »




FIN DU TROISIÈME VOLUME
  1. Archives de la comtesse S. A. Tolstoï.