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LÉON TOLSTOÏ

Au cours de ces voyages, de plus en plus fréquemment j’entendais raconter que le comte Tolstoï, l’auteur de Guerre et Paix, professait juste les opinions qui étaient les miennes. Cela fit naître en moi le désir de faire sa connaissance, ce que je fis en passant par Moscou, à la fin de 1883. Nous nous rencontrâmes comme de vieilles connaissances, car, de son côté, il avait déjà entendu parler de moi. À cette époque il terminait son livre : En quoi consiste ma religion. La question du rapport de la vraie doctrine du Christ envers le service militaire était déjà fermement résolue dans ma conscience, et résolue par la négative, et chaque fois que je me rencontrais avec quelqu’un sur le terrain religieux, je m’empressais de toucher cette pierre d’essai. Léon Nicolaiévitch fut le premier homme que je rencontrai qui était profondément convaincu, et partageait la même opinion que moi quant au service militaire. À ma question, il me répondit par la lecture du manuscrit qui était sur sa table : En quoi consiste ma religion. C’était la négation absolue du service militaire au point de vue chrétien. La conscience que la période de mon isolement moral était enfin terminée me causa une telle joie que, plongé dans mes propres réflexions, je ne pouvais suivre les extraits qu’il me lisait, et je ne me ressaisis que quand, ayant lu les dernières lignes de son ouvrage, il prononça avec une netteté particulière, la signature : Léon Tolstoï. Comme je l’ai dit, lui aussi trouva en moi son premier co-penseur. Dans ces conditions, le lien moral qui s’établit entre nous devait avoir pour nous deux une importance toute particulière : pour lui, c’était l’appréciation et