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LÉON TOLSTOÏ

d’accord dans la négation, mais la négation de Tolstoï, plus large que celle de Strakov, l’amenait à un idéal positif, tandis que Strakov ne pouvait concevoir rien de positif.

« 31 mars 1882. Quel plaisir m’a causé votre lettre, cher Léon Nicolaiévitch, et comme je désirais vous répondre et discuter vos reproches. Mais je suis tombé malade tout d’un coup, et depuis une semaine ne suis bon à rien. Je commence à me rétablir, cependant je vous demande d’être indulgent pour ma lettre. Votre objection m’est venue en tête plusieurs fois et depuis longtemps (j’ai même écrit un article sur ce sujet). Tout ce mouvement qui remplit la dernière période de l’histoire : le libéralisme, la révolution, le socialisme, le nihilisme, n’eut toujours à mes yeux qu’un caractère négatif. En le niant, je niais la négation. J’y ai souvent réfléchi et j’étais étonné de voir que la liberté et l’égalité, ces idoles, en réalité ne renferment rien de positif leur donnant un vrai prix et pouvant en faire un but réel.

« En commençant par la Réforme, jusqu’à ces derniers temps, tout ce que font les hommes (comme vous le dites) ce n’est point bêtise, mais la destruction graduelle de quelques formes instituées au Moyen-âge. Durant quatre siècles se poursuit cette destruction, et elle doit aboutir à l’effondrement complet. Pendant ces quatre siècles, rien n’est paru, et maintenant, dans toute l’Europe, il n’y a rien. Le plus neuf est en Amérique, et consiste à vendre des voix, acheter des places, etc. La société se maintient par les vieux éléments, par les restes de la religion, du patriotisme, de la morale, qui peu à peu s’affaissent.