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LÉON TOLSTOÏ

la porte de la rue et nous allâmes dans la cour dire aux gens qui voulaient partir qu’on ne demanderait les passeports de personne. Je me rappelle l’impression étrange et pénible que me causa la vue de ces malheureux troublés, en loques, demi-nus : tous me semblaient très grands à la lueur des réverbères, dans l’obscurité de la cour. Effrayés et terribles dans leur effroi, ils se tenaient en groupes près de la fosse d’aisances empestée, ils écoutaient nos exhortations et ne nous croyaient pas. Évidemment, comme des bêtes traquées, ils étaient prêts à tout pour nous échapper. Les seigneurs de diverses catégories : policiers de la ville et de la campagne, juges d’instructions et juges, toute la vie les poursuivaient dans les villes, dans les campagnes, sur les routes, dans les rues, les débits, les asiles de nuit, et maintenant, tout à coup, des ennemis arrivaient et fermaient les portes, seulement pour les compter ! C’était pour eux aussi difficile à croire qu’aux lièvres de croire que les chiens ne sont pas venus les chasser, mais les compter.

« Par groupes, nous commençâmes notre travail. Il y avait avec moi deux messieurs du monde et deux étudiants. Vania, le garçon du restaurant, en veston et pantalon blancs, marchait devant, nous le suivions. Nous allions dans les logements que nous connaissions, je connaissais aussi quelques-uns des habitants, mais la majorité m’était inconnue. Le spectacle était nouveau et terrifiant, encore plus terrible que celui que j’avais vu près de la maison Liapine. Tous les logements étaient pleins, toutes les planches occupées et non par un seul, mais souvent par deux. Le spectacle était terrible, effrayant, par