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VIE ET ŒUVRE

faire la seconde, et la première m’est trop douloureuse. Je cherche une issue. Je n’en vois qu’une : la propagande par l’écriture et la parole. Mais ici, la vanité, l’orgueil, et peut-être la tromperie de soi-même. Et on le craint. Une autre issue : faire le bien aux hommes. Mais ici, l’immensité du nombre des malheureux effraye. Ce n’est pas comme à la campagne, où se forme un cercle naturel. La seule issue que je voie, c’est de vivre bien, C’est de toujours prendre tout du bon côté. Mais cela, je ne le sais pas faire comme vous. À ce propos, quand je pense à vous, je vois que je ne pourrai jamais vous ressembler : je suis emporté, je me fâche, je m’indigne, et suis mécontent de moi. Ici aussi il y a des hommes, et Dieu m’a donné de me lier avec deux ; l’un, Orlov ; l’autre, le principal, N. F. Féodorov, le bibliothécaire du Musée Roumiantzev, dont je vous ai déjà parlé. Il a imaginé un plan de l’œuvre de l’univers, dont le but est la résurrection corporelle de tous les hommes. Ce n’est pas si fou que cela paraît.

« N’ayez pas peur. Je ne partage pas cette opinion. Mais je l’ai si bien comprise que je me sens capable de la défendre contre toute autre croyance poursuivant un but extérieur. Grâce à cette croyance, il mène la vie chrétienne la plus pure. Il a soixante ans, il est pauvre et donne tout ce qu’il a ; il est toujours gai et doux. Orlov a souffert dans sa vie. Il a fait deux ans de prison pour l’affaire Netchaiev. Il est maladif, mène aussi une vie d’ascète, et nourrit neuf personnes. Il est maître à l’École du Chemin de fer. Soloviev est ici, mais lui est un raisonneur. Je suis retourné chez