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LÉON TOLSTOÏ

un mot à personne. Les deux premières semaines j’ai pleuré chaque jour parce que Léon non seulement était triste, mais tout à fait abattu. Il ne dormait pas, ne mangeait pas, et même, parfois, pleurait ; j’ai cru que je deviendrais folle. Tu serais étonnée si tu voyais comme j’ai changé et maigri. Ensuite il est allé au gouvernement de Tver, et a retrouvé là une vieille connaissance, Bakounine (la maison artistique, libérale, littéraire) ; puis il est allé dans un village chez un vieux croyant. Au retour, son angoisse était moindre. Maintenant, il s’est loué dans le pavillon, deux petites chambrettes tranquilles, pour six roubles par mois ; puis il va sur la place du couvent des Vierges, passe la rivière près de la Montagne des Moineaux et, là, coupe et scie du bois avec les paysans. »

À cette époque se rapporte la remarquable lettre suivante écrite par Tolstoï à son ami V. I. Alexiev, resté à Samara :

« Merci de votre bonne lettre, cher Vladimir Ivanovitch. Nous avons l’air d’oublier que nous nous aimons. Pour moi il n’en est rien. Je ne veux pas oublier que je vous dois beaucoup de ce calme et de cette clarté dans ma conception actuelle du monde. Vous êtes le premier homme instruit que j’aie rencontré, confessant non seulement en parole, mais de cœur, la religion qui est devenue pour moi la lumière claire. C’est pourquoi vous me serez toujours cher. Ce qui me gêne en vous, c’est le vague, l’inconséquence de votre vie. C’est votre avant-dernière lettre, pleine des raisons de ce monde. Mais moi-même, il y a si peu de temps encore, en étais plein, et jusqu’ici je suis si mauvais dans ma vie