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VIE ET ŒUVRE

voue que moi, homme faible et misérable, ébranlé par des tentations mille fois plus faibles que celles qui vous assaillent, je céderais non à la vérité et au bien, mais à la tentation ; il est vrai que c’est audace et folie de ma part d’exiger de vous une force morale sans exemple, d’exiger que vous, empereur de Russie, malgré la pression de tous ceux qui vous entourent, que vous, fils aimant, pardonniez aux meurtriers de votre père et leur rendiez le bien pour le mal. C’est folie de ma part, mais je ne puis m’abstenir de le désirer, et ne point voir que chacun de vos pas vers le pardon est un pas vers le bien, et chaque pas vers le châtiment un pas vers le mal. Et de même que pour moi, aux heures de calme, en l’absence de tentations, je désire de toutes les forces de mon âme choisir la voie de l’amour et du bien et espère y parvenir, de même je désire pour vous que vous aspiriez à être « parfait comme notre Père », et ne peux pas ne point l’espérer.

« Vous, empereur, donnez au monde le plus grand exemple de l’observance de la doctrine du Christ : rendez le bien pour le mal. Faire grâce aux criminels qui ont violé les lois humaines et divines ; leur rendre le bien pour le mal, cela semblera aux uns de l’idéalisme ou de la folie, aux autres de la scélératesse. Ils diront : « Ce n’est pas pardonner qu’il faut, mais détruire cette gangrène, étouffer ce feu. Mais, obligez ceux qui parleront ainsi à prouver leur opinion, et c’est de leur côté que seront la folie et la scélératesse.

« Voici un malade : on l’a soigné par des moyens très énergiques ; puis on a supprimé les remèdes et laissé faire la nature ; ni l’un ni l’autre système