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VIE ET ŒUVRE

coup, je crus voir nettement, comme dans la réalité, que ce n’était pas eux qu’on exécutait, mais moi, et que ce n’était pas Alexandre iii, et les bourreaux et les juges, qui consommaient l’exécution, mais moi-même qui les tuais. Ce terrible cauchemar m’éveilla, et aussitôt j’écrivis à l’Empereur. »

Voici cette lettre.

« Sire, je vous écris, non que j’aie une très haute opinion de moi-même, mais parce que, déjà très coupable devant tous, je craindrais de l’être encore davantage si je ne faisais pas ce que je peux et dois faire. Je n’userai pas de cette éloquence fausse et hypocrite, répandue ordinairement dans les lettres adressées aux souverains, et par laquelle on obscurcit les pensées et les sentiments. J’écrirai simplement, d’homme à homme. Les sentiments sincères de mon respect pour vous, comme homme et empereur, ressortiront mieux sans ces faux ornements. On a cruellement mutilé et tué votre père, l’empereur de Russie, un homme âgé et bon, qui fit beaucoup de bien et désira toujours celui de son peuple. Et il n’a pas été tué par des ennemis personnels, mais par des ennemis de l’état de choses existant, qui l’ont fait périr au nom du soi-disant bien général de toute l’humanité.

« Vous régnez à sa place, et devant vous sont ces ennemis qui empoisonnèrent la vie de votre père, et l’assassinèrent. Ils sont vos ennemis parce que vous occupez la place de votre père, et pour ce soi-disant bien général qu’ils recherchent, ils doivent désirer vous faire disparaître aussi.

« Pour ces hommes, meurtriers de votre père,