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VIE ET ŒUVRE

latents dans son âme, ses amis se trouvèrent d’un coup loin derrière lui. Fet fut l’un des premiers en retard. Tolstoï, bien entendu, ne rompit point les relations amicales qu’il avait avec lui, mais il dut lui expliquer sa conduite qui, évidemment, étonnait Fet et paraissait étrange à cette nature pondérée. Le 28 juillet 1879, à une lettre de Fet, Tolstoï répond ainsi :

« Merci de votre dernière et bonne lettre, cher Afanassi Afanassiévitch, merci aussi de l’apologue du Faucon, qui me plaît beaucoup, mais sur lequel je désirerais avoir quelques explications. Si ce Faucon, c’est moi, et si, comme il résulte, mon rôle est trop lointain et consiste en cela que je nie la vie réelle, alors je dois me justifier. Je ne nie pas la vie réelle, non plus que le travail nécessaire pour soutenir cette vie. Mais il me semble que la plus grande partie de ma vie et de la vôtre est remplie par la satisfaction de besoins non naturels, de besoins artificiels que nous donne l’éducation ou que nous inventons nous-mêmes et qui se sont transformés en habitude. Si bien que les neuf-dixièmes du travail que nous dépensons à les satisfaire est inutile. Je voudrais bien être fermement convaincu que je donne aux hommes plus que je n’en reçois, mais étant très enclin à estimer très fort mon travail et peu celui des autres, je n’espère pas me convaincre que mon calcul soit inoffensif pour les autres, si je ne fais qu’augmenter mon travail en pensant qu’il est le plus pénible (je suis toujours convaincu que mon travail préféré est le plus utile et le plus difficile). Je désirerais prendre le moins possible des autres et travailler le moins pos-