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LÉON TOLSTOÏ

hantait rarement. Dans son journal du 1er mars, cet état est indiqué d’un mot :

« … La pensée de la mort… »

Dans sa tendance inlassable à l’analyse, au sondage de la vie jusqu’à sa base même, Tolstoï ne se laisse pas de repos. En dépit d’un bien-être complet, en l’absence d’obstacles, il les imagine, et se jette sur eux comme Don Quichotte sur les moulins à vent. Parfois il a des accès de jalousie. Il écrit dans son journal qu’il ressent « de la jalousie pour l’homme qui pourrait être digne d’elle ». Mais plus loin on trouve :

« … À la moindre lueur de compréhension et de sentiment, de nouveau je suis tout heureux, et vois qu’elle comprend les choses comme moi. »

Avec sa nature passionnée, son caractère enthousiaste et en même temps inquiet, les tristesses et les tempêtes conjugales étaient inévitables, mais aussi inévitables étaient les élans de bonheur, d’amour, qu’il ressentait avec la même force que les souffrances.

La note de son journal, du 6 octobre 1868, reflète brièvement mais clairement cet état de lutte contre soi-même.

« … Tout cela est passé… et ce n’était qu’erreur. Je suis heureux par elle, mais suis terriblement mécontent de moi. Je glisse, glisse, de la montagne vers la mort. Je me sens à peine la force de m’arrêter. Cependant ce n’est pas la mort que je veux. Je veux et j’aime l’immortalité. Il n’y a pas à choisir. Le choix est fait depuis longtemps : la littérature, l’art, la pédagogie, la famille… L’inconsé-