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LÉON TOLSTOÏ

que je réalise. Supposons que toutes les sensations soient trouvées et indiquées, aussitôt paraît une autre série de questions : qu’est-ce qui a produit ces sensations ? Qu’est-ce qui a formé ma personnalité, mes capacités innées ? Il est évident qu’en remontant d’une cause à une autre j’arrive à un cercle tournant dans l’espace. Mais ce cercle tournant, de même qu’un réflexe, exige son explication. Et il est évident qu’aussitôt je me heurte à l’infini de l’espace et du temps, à une cause sans raison. En un mot, j’arrive à la reconnaissance de Dieu, incompréhensible, éternel et sans cause. »

Le jour suivant, Tolstoï inscrit dans son carnet quelques traits du tableau poétique de l’été :

« 5 juin. Très chaud. Deux heures passées. Je marche dans une grande et haute prairie. Calme. Odeur douce et parfumée. L’herbe est encore plus haute dans le ravin du côté de la forêt. Les sentiers du bois ont une odeur de serre. Les feuilles des érables sont énormes. L’abeille butine le miel sur les fleurs jaunes. Après la treizième, elle a emporté son butin. Il fait chaud ; sur la route, poussière brûlante, odeur de goudron[1]. »

La même année, Tolstoï écrit entre autres à Strakov :

« Je me suis rencontré à Moscou avec Bakounine. Il écrit un livre sur la science et la religion. Chez nous, vit, comme professeur de mathématiques, un licencié de l’université de Pétersbourg qui a passé deux années à Kansas, en Amérique, et dans les colonies russes communistes. Grâce à lui, j’ai fait

  1. Archives de L. N. Tolstoï.