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VIE ET ŒUVRE

« Non, vous ne le direz pas, parce que vous savez que les réponses existent, que par elles seules les hommes vivent et vécurent, et que vous vivez. Dire qu’il ne peut y avoir de réponses, c’est la même chose que de dire en allant sur la glace que les fleuves ne peuvent pas geler, parce que les corps se contractent par le froid, mais ne se dilatent pas. Me dire que ces réponses sont insensées, revient à me dire que je ne les comprends pas, et il me semble que c’est vous qui ne comprenez pas une chose, à savoir : qu’on me demande des réponses non aux questions de la raison, mais à d’autres, que j’appelle les questions du cœur. À ces questions, depuis qu’existe le genre humain, les hommes répondent non par la parole, instrument de la raison, mais par toute la vie, par les actes, dont la parole n’est qu’une partie. Toutes les croyances que j’ai, moi et vous et tout le peuple, sont basées non sur les paroles et les raisonnements, mais sur une série d’actions humaines, à commencer par les vies d’Abraham, de Moïse, du Christ, des saints Pères, et même sur les actes extérieurs : les génuflexions, les jeûnes, l’observance des fêtes, etc. Parmi le nombre incalculable des actes humains, certains sont devenus la tradition, c’est-à-dire l’unique réponse aux questions du cœur. C’est pourquoi cette tradition n’a pour moi rien d’insensé. Je dirai plus, je ne comprends même pas que l’on y puisse appliquer le contrôle du sensé et de l’insensé. Le seul contrôle auquel je puisse soumettre la tradition, c’est de savoir si elle correspond à la réponse unique, vague, qui vit au fond de ma conscience (celle dont j’ai parlé plus haut). C’est pourquoi, quand cette tradi-