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LÉON TOLSTOÏ

chose. J’ai commencé à écrire sur ce sujet, j’ai même écrit beaucoup, même j’ai abandonné ce travail, attiré que j’étais par un autre. Mais je compte sur votre capacité (pas ordinaire) de comprendre les autres. Dans cette lettre, je vais tâcher de vous dire pourquoi je pense que ce qui vous semblait étrange ne l’est nullement. La raison ne me dit rien, et ne peut me donner de réponse à trois questions qu’il est facile d’exprimer en une seule. Que suis-je ? Un sentiment, caché au fond de la conscience, répond à cette question. La réponse qu’il me donne est vague, peu claire, intraduisible par les mots. Et je ne suis pas le seul qui ait cherché et cherche la réponse à cette question. Toute l’humanité vivante est tourmentée des mêmes questions, et chacun a reçu dans son âme les mêmes réponses vagues. Des millions de réponses vagues analogues ont fini par donner de la clarté à cette réponse. Cette réponse c’est la religion. Au point de vue de la raison, les réponses sont insensées. Elles sont insensées du fait qu’elles s’expriment par des paroles ; néanmoins elles seules répondent aux questions du cœur. Comme expression, comme forme elles sont insensées, mais comme objet elles seules sont vraies. Si je regarde de tous mes yeux la forme, le contenu m’échappe. Si je regarde de tous mes yeux le contenu, que m’importe la forme. Je cherche la réponse aux questions, par mon essence : la raison, et j’exige qu’elle soit exprimée par la parole, instrument de la raison, et c’est pourquoi je m’étonne que la forme de la réponse ne satisfasse pas ma raison. Mais direz-vous : C’est pourquoi il ne peut y avoir de réponses !