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VIE ET ŒUVRE

se disant qu’on se garde et qu’on attend une inspiration quelconque. Tout cela est vulgaire et mesquin. Si j’étais seul, je ne serais pas moine, je serais innocent, c’est-à-dire que je n’aurais rien à quoi tenir dans la vie, et ne ferais de mal à personne. Je vous en prie surtout, ne me consolez pas en me rappelant que je suis un littérateur. Par cela, depuis longtemps, je me console mieux que vous ne pourriez le faire. Mais cela ne prend pas. Même d’écouter mes plaintes ne me console pas. Ces jours-ci, j’ai entendu la leçon des prêtres aux enfants, le catéchisme. C’était monstrueux. Les enfants intelligents, comme on le voit si bien, non seulement ne croient pas ces paroles, mais les méprisent. Je voudrais même essayer d’exposer sous forme de catéchisme ce que je crois. J’ai fait un essai. Mais cette tentative m’a paru très difficile, sinon impossible. C’est pourquoi je suis triste et souffre[1]. »

La conscience qu’il y a dans cette vie quelque chose d’irrésolu amena Tolstoï à l’arrêt de la vie, au désir de se tuer. Sa vie lui paraissait une raillerie cruelle. Son état était semblable à celui de l’homme du conte oriental qui, pour échapper à un animal féroce, se précipita dans un puits, au fond duquel il aperçut un dragon menaçant. L’homme s’accrocha à mi-hauteur du puits à un buisson, mais voilà que deux souris, une blanche et une noire, se mirent à ronger le buisson. Malgré le danger qui le menace, l’homme ainsi suspendu cherche autour de lui ; et, apercevant sur les feuilles du buisson des gouttelettes de miel, il les atteint de la langue et s’en

  1. Archives de V. G. Tchertkov.