Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
254
LÉON TOLSTOÏ

À ce moment, Tolstoï n’en est encore arrivé qu’à la négation du moi. Mais cette mort lui donne quelque chose de plus :

« Une autre circonstance, dit-il dans ses Confessions, où j’eus conscience de l’insuffisance pour la vie de la foi dans le progrès, me fut donnée par la mort de mon frère. Intelligent, bon, sérieux, il tomba malade tout jeune encore, souffrit plus d’une année et mourut douloureusement sans avoir compris pourquoi il avait vécu et encore moins pourquoi il mourait. Aucune théorie ne put fournir de réponses à ses questions ni aux miennes, pendant sa lente et cruelle agonie. »

Et dans la lettre à Fet :

« Mais, sans doute, tant qu’existe le désir de savoir et de dire la vérité, on tâche de la connaître et de la dire. C’est la seule chose qui me soit restée de ma conception morale et au-dessus de quoi je ne puis me placer. C’est la seule chose que je ferai, seulement pas sous forme de votre art. L’art, c’est le mensonge, et moi, je ne puis déjà plus aimer le beau mensonge. »

À cette époque, il s’adonne avec toute sa passion à l’activité pédagogique, et cette activité éloigne momentanément la crise. Parallèlement à ce travail moral qui parfois le gênait, parfois l’orientait vers une autre voie, en Tolstoï vivait encore l’aspiration non satisfaite de la vie de famille. Plusieurs fois, dans ses lettres à ses parents, il se plaint de sa solitude et s’attriste de voir que les années passent, diminuant toujours les chances de cette vie de famille à laquelle il rêvait ardemment. Enfin, il se marie, abandonne ses occupations pédagogiques