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VIE ET ŒUVRE

les anciens, qu’avec ces séductions il acceptait la théorie qui les justifiait : la théorie du progrès. Cependant cette théorie ne le gagna jamais tout entier. « La seconde et surtout la troisième année d’une telle vie, écrit-il, dans ses Confessions, je commençai à douter de l’infaillibilité de cette religion et me mis à l’examiner. » Puis voici qu’il va en Europe et, à Paris, voit une exécution capitale : « Quand je vis la tête se détacher du corps, et, séparément, tomber dans le panier, je compris, non par la raison, mais par tout mon être, qu’aucune théorie sur la rationalité de l’ordre existant et du progrès ne pouvait justifier un tel acte. » La doctrine du monde était ébranlée.

D’un mouvement fatal, il allait à la solution des questions de la vie. S’oubliait-il pour un moment, était-il entraîné par quelque chose, un nouveau coup le faisait se rappeler et le dégrisait. La mort de son frère Nicolas, en 1860, fut pour lui un coup pareil, qui lui fraya la route vers la vérité supérieure. L’influence de cette mort fut bienfaisante, bien que négative : elle détruisit en lui les illusions de la vie et l’obligèrent à la regarder à sa base.

« Jamais rien ne m’a fait une impresion pareille », écrit-il à Fet. Et plus loin : « On ne peut pas demander à la pierre de tomber en haut au lieu de tomber en bas où elle est attirée ; on ne peut pas rire d’une plaisanterie qui ennuie ; on ne peut manger quand on n’a pas faim. Pourquoi tout cela si demain doivent commencer les souffrances de la mort avec toute la lâcheté du mensonge, de la tromperie de soi-même ; si tout se termine par le néant, par le zéro ? »