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VIE ET ŒUVRE

reste qu’une chose : secouer la réalité mensongère. Mais la tâche est au-dessus de ses forces, l’heure n’est pas encore venue.

Ce sont ensuite les années de la vie désordonnée, avec la lutte et souvent le débordement des passions, dont la fin heureuse est le départ pour le Caucase. Là-bas l’âme de Tolstoï retrouve le calme, et de nouveau toutes ses aspirations renaissent en elle. Le héros des Cosaques, Olénine, exprime ainsi ce nouvel état d’âme : « Le bonheur, le voilà, c’est de vivre pour les autres ; c’est clair. En l’homme se trouve le besoin du bonheur, donc il est légitime. En le satisfaisant d’une façon égoïste, c’est-à-dire en cherchant pour soi richesse, gloire, amour, il peut arriver que les circonstances surgiront telles qu’il sera impossible de satisfaire à tous ses désirs. Alors ces désirs sont illégitimes, mais le besoin du bonheur, lui, n’est pas illégitime. Quels sont donc les désirs qui peuvent toujours être satisfaits malgré les conditions extérieures ? L’amour, le sacrifice de soi-même. »

Ici nous voyons les aspirations idéales se heurter non plus aux conditions extérieures, sociales, mais aux passions personnelles, à l’égoïsme ; et de nouveau la solution est que l’égoïsme, la passion, doivent être vaincus, ils sont illégitimes et doivent céder la place à la liberté, à l’activité, à l’amour, au sacrifice de soi.

C’est aussi là-bas, au Caucase, qu’éclôt le talent artistique de Tolstoï. La sensation de cette force cachée jusqu’alors éveille en Tolstoï la conscience de soi-même.

« Il y a en moi quelque chose, écrit-il dans son