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LÉON TOLSTOÏ

autrement tout ce qu’il y a en toi de bon et de noble périra ; tout se dépensera en petites choses. Oui, oui, oui ! Ne me regarde pas avec un tel étonnement. Si dans l’avenir tu attends quelque chose de toi, alors à chaque pas tu sentiras que tout est fini pour toi, que tout est fermé, sauf le salon où tu seras sur le même pied qu’un valet de cour ou un imbécile… Oui… Voilà !…

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« Ma femme, continue le prince André, est une femme admirable. C’est une de ces rares femmes avec qui l’on est tranquille pour son honneur ; mais, mon Dieu, que ne donnerais-je pas maintenant pour n’être pas marié ! Tu es le premier, le seul, à qui je dise cela, parce que je t’aime. »

Ce sentiment de la dépendance de la femme et de la famille, Tolstoï l’exprime admirablement dans Anna Karénine, quand il décrit les premiers temps du mariage de Kitty. Kitty fait une scène de jalousie à Lévine, qui est en retard d’une demi-heure ; et l’auteur écrit :

« Il comprit alors clairement, pour la première fois, ce qu’il n’avait pas compris en la menant à l’autel, que non seulement elle était liée à lui, mais qu’il ne savait plus où commençait et où finissait sa propre personnalité. Il le comprit par le pénible sentiment de scission intérieure qu’il éprouva. Tout d’abord il en fut offensé, mais aussitôt il sentit qu’elle ne pouvait pas l’offenser, car elle et lui ne faisaient qu’un. Il éprouva tout d’abord un sentiment semblable à celui qu’éprouve un homme qui, recevant un coup formidable dans le dos, se retourne plein de colère pour voir qui l’a frappé et s’aper-