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VIE ET ŒUVRE

peut-être est-ce le temps. Chaque désaccord pareil, quelque minime qu’il soit, est une déchirure dans l’amour. Le sentiment du moment : le dépit, l’amour-propre, l’orgueil, passe, mais la déchirure, bien que petite, reste pour toujours, même dans ce qu’il y a de meilleur au monde, dans l’amour. »

Et le 8 février : « Je suis si heureux, si heureux ; je l’aime tant ! »

De ces notes brèves, nous voyons quel soin, quelle conscience, quelle délicatesse, Léon Nicolaievitch accorde à son nouveau sentiment. Il semble avoir peur de le perdre, de devenir indigne du feu sacré qui s’est allumé en lui et éclaire toute sa vie.

Cependant, dans ces lignes, on remarque toujours une note d’analyse, de doute, qui ne lui permet pas d’éprouver le bonheur complet, l’oubli de soi-même qu’il désirait tant, qu’il voulait se convaincre de posséder. Et ce doute, cette non-satisfaction, s’exprimait, peut-être malgré lui, dans ses œuvres artistiques.

Peu de temps après son mariage, Tolstoï commença à écrire Guerre et Paix.

Dans le chapitre vi de la première partie, écrite à la fin de 1863 ou au commencement de 1864, c’est-à-dire un peu plus d’un an après son mariage, le prince André parle ainsi à Pierre :

« Ne te marie jamais, jamais, mon ami ; c’est mon conseil. Ne te marie pas avant de te dire à toi-même que tu as fait tout ce que tu as pu avant de cesser d’aimer la femme que tu as choisie, avant de la voir telle qu’elle est, autrement tu te tromperas cruellement et irrémédiablement. Marie-toi quand tu ne seras plus qu’un vieillard bon à rien…