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LÉON TOLSTOÏ

cela est clair, mais je suis épouvanté quand je commence à penser à toute la complexité des conditions dans lesquelles s’accomplit l’histoire : c’est, par exemple, une dame quelconque, Mme A…, avec son ambition et sa fausse compassion pour quelque chose de vague, et c’est un rouage qui n’est pas complètement inutile dans toute cette machine ! »

Après quatre mois de la guerre russo-turque, en avril, il écrit à Strakov :

« Suis-je de bonne ou de mauvaise humeur, la pensée de la guerre efface tout pour moi. Pas la guerre elle-même, mais la question de notre faillite qui voilà doit se résoudre, et des raisons de notre faillite qui me deviennent de plus en plus claires. Aujourd’hui Stepan a causé de la guerre avec Serge[1], et Serge lui a dit : 1o qu’à la guerre les jeunes soldats peuvent très bien s’amuser avec les femmes turques. Stepan ayant objecté que cela n’était pas bien, il a répondu : « Eh quoi ! cela ne lui fera rien au Turc, et que le diable l’emporte ! » Et c’est Serge qui dit cela, celui qui sympathise aux Serbes, et qu’on a cité comme preuve de la sympathie de tout le peuple. Et sa pensée intime de la guerre ce n’est que la Turque, c’est-à-dire la licence des instincts bestiaux ; 2o quand Stepan a raconté que les affaires allaient mal, il a dit : « Pourquoi ne prend-on pas Mikhail Gregoriévitch Tchernaiev, il les arrangerait ! » La Turque et la confiance aveugle dans le nom populaire ! Il me semble que nous sommes à la veille d’un cataclysme. Écrivez-moi, je vous prie, ce qui se passe et ce qu’on dit à Pétersbourg. »

  1. Un domestique de Tolstoï.