points douloureux, il évitera de les toucher, de les irriter, mais, par cela même, me fera comprendre que rien ne lui est caché ; et s’il n’est pas très indulgent, il touchera droit au mal. Je craignais beaucoup l’un et l’autre.
« Mais ce ne fut ni l’un ni l’autre. Ce grand connaisseur du cœur était dans ses rapports excessivement simple et sincère et montrait peu cette omniscience que je craignais. Il n’évitait pas de toucher le point douloureux, mais il le faisait sans préméditation. Il ne voyait pas en moi un sujet d’observation. Il voulait simplement causer avec moi de la musique, qui, à cette époque, l’intéressait vivement. Entre autres, il aimait démolir Beethoven et émettre des doutes sur son génie. Ce n’est pas un trait propre aux grands hommes d’abaisser jusqu’à son incompréhension un génie reconnu de tous. C’est le propre d’une nature bornée. »
Non seulement Tolstoï voulait « causer musique » avec Tchaïkovsky, il voulait lui exprimer l’intérêt que lui inspiraient ses œuvres. Flatté de ses éloges, Tchaïkovsky demanda à Rubinstein d’organiser au Conservatoire une soirée musicale pour le grand écrivain seul. À cette soirée, on exécuta entre autres l’andante du concert D de Tchaïkovsky ; et à ces sons, devant tout le monde, Tolstoï sanglota.
« Peut-être, ne fus-je jamais aussi flatté », écrit Tchaïkovsky dans son journal, « et touché dans mon amour-propre de compositeur, que quand Tolstoï, qui était assis à côté de moi, à l’andante de mon quatuor, fondit en larmes. »
Tolstoï voulut intéresser Tchaïkovsky à l’œuvre, chère pour lui, de l’art populaire. À cet effet, il lui