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VIE ET ŒUVRE

seul désir qu’on me laisse tranquille comme j’y laisse les autres… C’est insupportable de vivre en Russie, avec la pensée que chaque garnement à qui ne plaira pas ma tête peut me faire asseoir sur le banc des accusés et de là en prison… »

Dans une lettre à N. N. Strakov, du 15 septembre 1872, Tosltoï parle encore de tous ces incidents.

« Vous m’en voulez sans doute, cher Nicolas Nicolaievitch, et vous en avez le droit, de ne pas vous avoir répondu, ni envoyé l’argent et le quatrième livre : l’arithmétique. Je suis coupable. Vous ne pouvez vous imaginer quels désagréments j’ai eus ces temps derniers. Pendant mon voyage à Samara, un jeune taureau a tué le berger, et j’ai eu l’occasion d’apprendre ce que sont nos tribunaux et sous quelle épée de Damoclès nous vivons tous. Je suis virtuellement inculpé et j’ai pris l’engagement de ne pas quitter ma demeure. Or je devais être juré et vous ne sauriez vous imaginer toutes les petites vilenies que me fait le tribunal et j’avoue, quelque honte que j’en aie, que je ne suis pas encore arrivé au degré d’Axenov. Peut-être y arriverai-je quand on me mettra en prison, ce qui est très possible. Mais, pour le moment, je suis tellement irrité que j’en suis malade physiquement et moralement, et ne puis penser à rien, sauf pourquoi l’on tourmente un homme qui laisse tout le monde tranquille et ne demande que cela des autres. Je suis tellement fâché que j’ai résolu de vendre tout ce que je possède en Russie et de partir pour l’Angleterre. Je ne vous donne pas d’autres détails ; c’est ennuyeux et cela m’irrite[1]. »

  1. Archives de V. G. Tchertkov.