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LÉON TOLSTOÏ

prit triste mais très sérieux. Dans la lettre ci-dessous, adressée à Fet, s’exprime avec clarté ce moment psychologique : l’âme qui cherche n’est pas encore éclairée, mais forte de sa vérité, elle n’a pas peur d’appeler les choses par leur nom.

« Voilà déjà quelques jours que j’ai reçu votre lettre charmante et triste et je n’y réponds qu’aujourd’hui. Elle est triste parce que vous m’écrivez que Tutchev se meurt ; vous répétez le bruit que Tourgueniev est mort, et de vous, vous dites que la machine s’use, et que vous pensez tranquillement au Nirvâna. Je vous en prie, faites-moi savoir le plus vite possible si c’est une vaine alarme. Je l’espère.

« Du Nirvâna, il n’y a pas à se moquer et d’autant moins à se fâcher. Pour nous tous (moi, du moins, je le sens) il est beaucoup plus intéressant que la vie. Mais je suis d’accord avec vous, qu’on a beau y penser, on trouve que ce Nirvâna n’est rien. Je ne défends qu’une chose : le respect religieux et la terreur devant le Nirvâna. Malgré tout, il n’y a rien de plus important que cela. Ce que j’entends par respect religieux ? Voici. Dernièrement, je fus chez mon frère. Un de ses enfants était mort ; on l’enterrait. Les popes sont venus. Il y avait un petit cercueil rose, et tout ce qu’il fallait. Mon frère et moi, malgré nous, nous nous fîmes part du dégoût que nous inspiraient les rites. Et alors je pensai : Et que ferait mon frère pour faire sortir de la maison le cadavre en décomposition de son enfant ? Comment, en général, remplir convenablement cette obligation ? Il n’y a rien de mieux, du moins, je n’ai rien inventé de mieux, que la messe, l’en-