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VIE ET ŒUVRE

ne le supposent les médecins socialistes. Dans aucune société humaine organisée, on ne supprimera le mal qui est dans l’âme des hommes, laquelle demeurera la même, en dépit de tous les médecins et de tous les juges. Le juge humain doit savoir lui-même qu’il n’est pas un juge définitif, n’étant qu’un pécheur comme les autres, qu’il est absurde qu’il puisse juger, s’il n’a recours à l’unique moyen de comprendre, qui est la charité, l’amour… »


Après avoir parcouru la série des articles critiques publiés lors de l’apparition d’Anna Karénine, notre avis est que la critique (Dostoievski excepté) n’a pas compris ce roman, qu’elle ne l’a pas apprécié dans son ensemble, et ne s’est pas rendu compte de l’importance des questions fondamentales de la vie humaine que l’auteur envisage. La critique s’est attachée surtout au côté extérieur, à la fiction plutôt qu’à l’idée. À l’aide des données dont nous disposons, nous tâcherons d’indiquer l’idée maîtresse de cette œuvre et de définir sa place dans le développement général de la personne morale de Tolstoï.

Si dans Guerre et Paix Tolstoï nous présente le tableau de l’humanité européenne dans ses diverses attitudes et nous donne ensuite les types de cette époque, dont chacun semble être le représentant de l’espèce, dans Anna Karénine il nous donne le tableau complet d’un groupe particulier d’hommes réunis par hasard, et pris dans le train de la vie de famille. En lisant Guerre et Paix, on se sent transporté sur une hauteur d’où l’on contemple la majesté du panorama dans lequel l’artiste, d’une