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VIE ET ŒUVRE

snob et d’une dame de Pétersbourg ayant un faible pour les brandebourgs ». P. Tkatchov, dans la revue libérale Dielo (l’Œuvre), va plus loin. Analysant une série des œuvres de Tolstoï, il trouve que l’idée fondamentale de Anna Karénine est celle-ci :

« Le but de la vie de l’homme est dans la jouissance égoïste des plaisirs sexuels, et leur résultat : le bouleversement de la famille, au sens le plus grossier et le plus cynique. »

Puis, parodiant le style de Tolstoï, il lui propose d’écrire un roman où seront présentés l’amour de Lévine pour sa vache et la jalousie de Kitty. Stankevitch, dans les nos 4 et 5 du Messager de l’Europe, 1878, fait une longue critique d’Anna Karénine, qu’il ne parvient pas à prendre au sérieux.

Enfin citons l’opinion du seul écrivain russe, qui, selon nous, puisse s’égaler à Tolstoï : Th. M. Dostoïevski. Par une aberration étrange, ce grand esprit et ce grand cœur s’était laissé entraîner par les événements politiques de la fin des années 70, et défendait la nécessité et les bienfaits de la guerre orientale. La dernière partie d’Anna Karénine ne pouvait donc espérer son approbation. Mais cette divergence d’opinion ne l’empêcha point de reconnaître la valeur du roman. Il écrit en effet, dans son Journal d’un écrivain : « Anna Karénine est une œuvre d’art parfaite qui arrive tout à fait à propos, un livre en tout différent de ce qui se publie en Europe ; son idée est complètement russe. Il y a en ce roman quelque chose de notre « parole nouvelle », d’une parole qu’on n’a pas entendue encore en Europe, et qui serait pourtant bien nécessaire aux peuples d’Occident, quelle que soit leur fierté. Je ne