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LÉON TOLSTOÏ

À ce propos, il est intéressant de rappeler les paroles de Mikhailovsky, qui défendait Tolstoï contre ceux qu’il appelait « les hommes des cavernes », c’est-à-dire les critiques conservateurs qui s’efforçaient d’attirer Tolstoï dans leur camp :

« Ces malheureux ne comprennent pas que ce qui leur plaît en Tolstoï ce n’est que sa main gauche : le triste écart, le tribut involontaire à cette classe cultivée à laquelle ils appartiennent. Ils seraient heureux d’en faire un gaucher, tandis que lui serait heureux, je pense, de n’avoir pas de main gauche. Ce n’est qu’une supposition, je le répète, mais il me semble que le comte Tolstoï doit être offensé des louanges de ces hommes des cavernes, adressées à sa main gauche. Personnellement, j’ai toujours honte pour le comte Tolstoï quand je vois les efforts non infructueux de ces hommes à le salir de leur voisinage moral. Je suis gêné, non que je désirerais être moi-même du côté du comte Tolstoï, si séduisant que ce soit, mais parce qu’en le souillant de leur contact ils privent presque totalement la société de sa main droite. »

À côté de ces critiques sinon enthousiastes du moins respectables, il nous faut mentionner aussi les éreintements. Un critique remarque ironiquement qu’Anna Karénine a la prétention d’être un roman de mœurs, alors que pas un de ses personnages n’est vivant et n’a son prototype dans la vie réelle. Skabitchevsky trouve que tout le roman est « pénétré de l’odeur idyllique des langes ». La scène de la chute d’Anna lui semble une « niaiserie mélodramatique dans le goût des vieux romans français, appropriée aux amours vulgaires d’un