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LÉON TOLSTOÏ

« 26 avril 1876. Iasnaïa. Nos lettres, mon cher Nicolas Nicolaievitch, se sont croisées. Je venais de répondre à votre lettre philosophique quand j’ai reçu la réponse si agréable à la mienne. Vous me demandez si vous comprenez bien mon roman et ce que je pense de vos jugements. Sans doute c’est cela. Sans doute votre compréhension m’est infiniment agréable. Mais tous ne sont pas obligés de comprendre comme vous. Peut-être êtes-vous seul amateur de ces choses-là, comme moi ou comme nos chasseurs de Toula. Ils apprécient très cher certaine variété de pigeons, mais ont-ils quelque qualité, ces pigeons, là est la question. De plus, vous le savez, nous autres écrivains, nous passons sans cesse de la tristesse et de l’humilité à l’orgueil insatiable. Je dis cela pour vous expliquer que l’opinion que vous avez de mon roman est juste, mais incomplète. Autrement dit tout est juste, mais vous n’avez exprimé qu’une partie de ce que j’ai voulu dire. Par exemple vous parlez de deux catégories de gens. Cela je le sens, je le sais, mais je ne les avais pas en vue, et quand vous le dites, je comprends que c’est une des vérités qu’on pourrait exprimer. Mais si je voulais exprimer en paroles tout ce que j’ai voulu faire entrer dans mon roman, il me faudrait écrire de nouveau le même roman que je viens de terminer.

« Si les critiques comprennent ce que j’ai voulu dire, et peuvent l’exposer dans leurs articles, alors je les félicite et puis leur assurer qu’ils en savent plus long que moi. Je vous remercie beaucoup. Quand j’ai relu ma lettre triste et humble j’ai compris qu’au fond je demandais des éloges, et vous m’en adressez. Je suis très triste d’avoir commis