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VIE ET ŒUVRE

Elle était couchée dans sa chambre, le fils aîné de Tolstoï, Serge, qui avait dix ans, lui lisait à haute voix une nouvelle de Pouschkine. Sophie Andréievna était dans la chambre et tricotait. La vieille s’assoupit, et on cessa la lecture. Le livre de Pouschkine était ouvert à la page où commençaient les Feuilles détachées.

« À ce moment, Léon Nicolaievitch entra dans la chambre. Il prit le livre et lut : « La veille de la fête les invités commencèrent à se réunir… » Ce commencement plut beaucoup à Tolstoï. « Voilà comment il faut commencer, dit-il. Le lecteur est ainsi transporté d’un coup dans l’action même. Un autre écrivain aurait commencé par la description des invités, des chambres, et Pouschkine, lui, va droit au but. » Quelqu’un des assistants proposa à Tolstoï, en plaisantant, de s’approprier ce commencement et d’écrire un roman. Tolstoï se retira dans sa chambre et jeta immédiatement sur le papier le commencement d’Anna Karénine, qui, dans la première version, débutait ainsi : « Tout était bouleversé dans la maison des Oblonski… » Par la suite, Léon Nicolaievitch ajouta les premières lignes du roman, qui expriment une remarque psychologique qu’il avait faite : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse est malheureuse à sa façon. »

Ceci se passait le 19 mars 1873. Le lendemain, la comtesse Tolstoï écrivit à sa sœur :

« Hier, Léon s’est mis tout d’un coup à écrire un roman de la vie contemporaine. Le sujet : la femme infidèle et tout le drame qui en résulte. Je suis très heureuse. »