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VIE ET ŒUVRE

damnés à la mendicité et à la faim. Je ne crois pas qu’il existe en Russie une autre province où comme dans la province de Samara le bien-être et la misère du peuple soient tellement liés à la qualité de la récolte. Ici, en effet, seul le travail agricole est productif. Or cette année, à cause des mauvaises récoltes précédentes, les semailles furent réduites de moitié et cette moitié ensemencée ne produit rien. De sorte que cette année le paysan n’a pas de pain.

« La misère sévit déjà, et nous sommes en été, et il faut encore attendre douze mois avant la prochaine récolte.

« En parcourant la campagne, moi qui vis toujours à la campagne et connais bien les conditions de la vie rurale, j’ai été saisi d’horreur devant le spectacle qui s’offrait à ma vue. Partout les champs nus, impossible de reconnaître ce qu’on avait semé. Sur la route, on rencontre des gens qui partent, soit pour Oufa, soit pour ailleurs, afin de chercher du travail qu’ils ne trouvent plus ici. Dans toutes les cours des villages où j’allais, partout le même état, pas encore la famine absolue, mais tous les indices de la famine prochaine. Point de paysans, tous sont partis chercher du travail. Dans les demeures sont restés des femmes, des enfants décharnés, malades, et des vieillards. Il y a encore un peu de farine, mais si peu ! Tous les animaux domestiques sont étiques. À chaque instant s’approche de la fenêtre un mendiant, à qui parfois on doit refuser une bouchée de pain.

« Mais c’est là une impression générale. Voyons les chiffres. Pour les établir, j’ai pris chaque dixième