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VIE ET ŒUVRE

« Chaque homme est aussi libre de se lever du lit, en sécurité, dans sa chambre que sous la fusillade. On peut rester tranquillement sous la fusillade, on peut s’en aller ; on peut se défendre, on peut attaquer. On ne peut pas construire sous la fusillade. Il faut aller où l’on peut construire. Remarquez une chose : nous sommes sous les coups de fusil. Mais y sommes-nous tous ? Si nous y étions tous, la vie serait aussi indécise, misérable, que les sciences et la littérature, tandis que la vie est ferme et majestueuse, suit sa voie et ne connaît personne. Alors les coups n’atteignent que la tour de notre stupide littérature, et il en faut descendre et aller là-bas, on y sera libre. Et de nouveau, par hasard, là-bas, c’est le peuple. « La pauvre Lise » arrachait les larmes et on la louait, mais personne ne la lit plus, tandis que les chansons, les contes, les bylines vivront tant qu’existera la langue russe. J’ai changé le procédé de ma langue et de mon écriture, mais, je le répète, non que j’aie raisonné qu’il le faut ainsi, mais parce que Pouschkine lui-même me paraît ridicule. La langue du peuple, au contraire, a des sons pour exprimer tout ce que peut dire le poète, et elle m’est très chère. Cette langue, — sauf cela, — est le meilleur régulateur poétique. Veut-on dire quelque chose de trop, d’emphatique, de faux, la langue ne le supporte pas, tandis que notre langue littéraire est sans squelette, on peut la tirailler comme on veut, tout ressemble à de la littérature. Le populisme des slavophiles et le populisme vrai sont deux choses aussi différentes que l’éther sulfurique et l’éther cosmique. Je hais tous ces troupeaux et ces communes, et ces frères sla-