Page:Biriukov - Léon Tolstoï, vie et oeuvre 3.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
LÉON TOLSTOÏ

imprimées, il n’y aura que dix lignes valant quelque chose[1]. »

En même temps qu’il s’occupait de l’école, Tolstoï travaillait beaucoup à la réforme de la langue russe, qu’il voulait rapprocher de celle du peuple. Au mois de mars 1872, il écrit à ce propos à N. N. Strakov :

« Vous m’avez touché au vif, mon cher Nicolas Nicolaievitch. Je suis devenu triste après vous avoir lu. Comme toujours vous êtes tombé juste sur le nœud de la question. Vous avez raison : nous n’avons pas la liberté, ni pour la science ni pour la littérature. Mais vous voyez en cela un malheur, moi pas. Il est vrai que pas un seul Français, Allemand, ou Anglais, à moins d’être fou, n’aura l’idée de se demander, comme je le fais, si la langue dans lequelle nous écrivons, dans laquelle j’écris, n’est pas fausse, si elle est russe ? S’il n’est pas fou, il doit se demander : Faut-il continuer à écrire le plus vite possible ses précieuses pensées, les sténographier, ou se rappeler que même « La pauvre Lise » était lue avec enthousiasme par quelques-uns, était vantée, et chercher d’autres procédés de la langue ? Ce n’est pas que j’aie raisonné ainsi ; mais notre langue actuelle, nos procédés littéraires me dégoûtent, et le rêve, malgré moi, m’attire à une autre langue et à d’autres procédés. L’observation de Danilevsky est très juste, surtout envers la science et la littérature. Mais le poète ne peut pas ne point être libre, même se trouvât-il sous les coups de fusil.

  1. Bulletin officiel du Gouvernement de Tobolsk, 1898, no 26.