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LÉON TOLSTOÏ

ils apprendront à lire par la méthode de Léon. Le roman est complètement abandonné, et cela m’attriste. »

Pour toutes ses œuvres pédagogiques, Tolstoï s’était posé comme critérium que le peuple les comprît. Cette idée, il l’exprime avec une clarté particulière dans une lettre à Mme P… qui, en 1873, lui avait demandé ses conseils et son aide pour une revue : l’Ouvrier russe, qu’elle pensait éditer.

Voici ce que lui répondit Tolstoï :

« Je suis peu favorable à une revue pour le peuple, précisément parce que j’ai trop de sympathie pour lui et suis convaincu que ceux qui se chargeront de l’éditer seront à cent lieues de ce qui est nécessaire au peuple. Je me flatte de cette espérance, que mes exigences sont les mêmes que celles du peuple : la revue doit être compréhensible. Et ce ne sera pas le cas de la vôtre. L’accessibilité n’est pas seulement une condition nécessaire pour que le peuple lise volontiers, selon moi. C’est encore la condition pour qu’il n’y entre rien de stupide, de déplacé, d’inutile. Si j’étais l’éditeur d’une revue pour le peuple, je dirais à mes collaborateurs : Pensez ce que vous voudrez, propagez le communisme, la religion des Khlisti, le protestantisme, tout ce qu’il vous plaira, mais de telle façon que chaque mot puisse être compris du charretier qui conduira la voiture emportant les exemplaires de la typographie. Et je suis convaincu que dans une telle revue il n’entrerait rien que d’honnête, de sain et de bon. Je ne plaisante pas et ne veux pas faire de paradoxe ; mais je sais indubitablement, par expérience, qu’on ne peut écrire rien de mauvais dans