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LÉON TOLSTOÏ

lettres, le 7 avril 1872, il écrit entre autres : « Ces derniers jours je m’acharne jusqu’à l’abrutissement à terminer l’arithmétique. J’ai terminé la multiplication et la division, j’achève les fractions. Vous vous moquerez de moi, de me fourvoyer ainsi, mais il me semble que l’arithmétique sera ce qu’il y aura de meilleur dans le livre. »

Dans ses lettres à Strakov, Tolstoï ne cache pas qu’en outre de l’intérêt moral qu’il accorde à ce travail il poursuit un but matériel, et qu’il espère tirer du syllabaire un revenu dont il a besoin pour sa famille toujours croissante. Cependant, il ne se faisait pas trop d’illusions à ce sujet. Dans une de ses lettres, nous trouvons en effet :

« Je n’attends pas beaucoup d’argent pour mon livre ; je suis même convaincu que, malgré son mérite, il donnera peu. La première édition sera vite épuisée ; ensuite, les pédagogues partiront en guerre contre les particularités de l’ouvrage ; tout sera pillé par les chrestomathies, et le livre ne se vendra pas. Habent sua fata libelli, et les auteurs sentent ce destin. Ainsi vous sentez que votre livre est bon, moi je le sais du mien, mais vous sentez aussi qu’il ne se vendra pas. J’ai publié Guerre et Paix, j’y voyais beaucoup de défauts, mais j’étais sûr du succès qu’il a en effet obtenu. Au contraire, à mon syllabaire je vois peu de défauts, je suis convaincu de sa très grande supériorité sur tous les ouvrages de ce genre et je n’attends pas le succès, précisément celui que doit avoir un livre scolaire. »

Enfin, le dernier livre du syllabaire étant envoyé à l’imprimerie, Tolstoï se sent de nouveau libre et écrit à Strakov une lettre de remerciement.