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VIE ET ŒUVRE

mi les soldats), à la physionomie la plus simple et la plus immobile. J’étais accompagné, je crois, de Kolokoltzov. Quand nous entrâmes, il fit le salut militaire. Je lui expliquai que je voulais le défendre et lui demandai de m’exposer comment l’affaire s’était passée. Il parlait peu volontiers, et à mes questions il se contentait de répondre : « Parfaitement. » De ce que je pus tirer de lui il résultait qu’il s’ennuyait beaucoup et que le chef de la compagnie était très exigeant pour lui. « Il m’en remontrait beaucoup trop », disait-il.

« L’affaire se passa comme vous l’avez racontée, mais je ne crois pas qu’il avait bu pour se donner du courage. Autant que je l’ai compris, son acte avait été déterminé par ce fait que le chef de la compagnie, homme d’extérieur très calme, depuis déjà des mois, de sa voix basse, monotone, exigeait, sans admettre d’objections, le recommencement d’un travail que le soldat croyait avoir très bien fait, ce qui l’amenait à un degré extrême d’irritation. De plus, outre les rapports de service, il me sembla alors qu’entre ces hommes était née une sorte de haine réciproque. Le chef de la compagnie éprouvait pour le soldat une antipathie accrue de ce fait qu’il le supposait animé de haine à son égard parce qu’il était Polonais. Il haïssait son subordonné, et prenait plaisir à se montrer mécontent de tout ce que faisait le scribe. De son côté, le soldat haïssait son chef et parce que celui-ci était Polonais, et parce qu’il ne savait pas apprécier son travail. Enfin il le haïssait pour son calme et pour l’inextricabilité de sa situation. Cette haine, qui grandissait à chaque reproche, ne trouvait pas