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LÉON TOLSTOÏ

condamnation à mort des uns par les autres, l’ordre donné à un troisième d’exécuter cet acte, non seulement me révolta toujours, mais toujours m’apparut comme quelque chose d’impossible, comme un de ces actes, en l’accomplissement desquels on ne peut croire, bien que l’on sache qu’ils sont commis. La peine de mort est restée pour moi un de ces actes humains auxquels ma conscience se refuse de croire, malgré tous les détails qu’on puisse me donner de leur exécution. Je comprends que, sous l’influence d’un accès d’irritation, de colère, de haine, l’homme perdant la conscience de soi puisse tuer, ou qu’il tue en défendant les êtres qu’il aime ou en se défendant soi-même. Je comprends que, sous l’influence de l’excitation patriotique, au risque de sa vie, il participe au meurtre commun, à la guerre, mais que des hommes en pleine possession de leurs facultés humaines, de sang-froid, puissent reconnaître la nécessité du meurtre d’un homme semblable à eux et forcer d’autres hommes à commettre cet acte contraire à la nature humaine, cela je ne le compris jamais. Je ne le comprenais pas même en 1866, alors que je vivais d’une vie bornée, égoïste.

« C’est pourquoi, quelque étrange que cela paraisse, avec l’espoir d’aboutir, je me chargeai de la défense du soldat.

« Je me rappelle qu’arrivé au village Oserki, où était l’accusé, dans l’izba où l’on m’introduisit, (je ne me souviens plus s’il se trouvait dans le local où le crime avait été commis ou dans un autre), je rencontrai un homme petit, aux pommettes saillantes, plutôt gras que maigre (ce qui est rare par-